Éditions GOPE, 240 pages, 13x19 cm, 17.85 €, ISBN 978‐2‐9535538‐8‐8

mercredi 6 juin 2012

Crâne-Coupé, Colin Cotterill


Retrouvez Colin Cotterill (l'auteur de Le déjeuner du coroner et La dent du Bouddha), son humour et son goût pour les esprits frappeurs, dans Crâne-Coupé, une histoire gore un poil déjantée.

Samart Wichaiwong, alias Professeur Wong, est un charlatan qui vivote en se faisant passer pour un shaman. Ses prétendus contacts dans l'au-delà lui communiqueraient toutes sortes d'informations utiles, comme les numéros gagnant de la loterie, mais c'est quand il commence à retrouver des personnes recherchées que la police décide de le recruter...
Wat Rong Khun, Chiang Rai
© beggs
www.flickr.com/photos/beggs/6590225885/
Extrait :

Samart Wichaiwong, alias Professeur Wong, s’était réveillé en sursaut ce matin-là, les jambes s’agitant hors du lit, comme si son moi conscient, pris de panique, cherchait à fuir son subconscient. Ce n’était pas la première fois que Crâne-Coupé le poursuivait en rêve et le tirait du sommeil : elle était une vision d’horreur. Elle lui rappelait sans cesse ce spectacle de cabaret où un transformiste, encadré de chaque côté par des rideaux, est un homme quand il montre son profil gauche et une femme quand il montre l’autre. Spectacle saisissant s’il en est. Mais lorsque Crâne-Coupé se mettait de profil, on assistait en direct à un cours d’anatomie appliquée. Une partie de son crâne était absente : il avait été sauvagement coupé en deux. L’œil rouge, la moitié du nez et, s’échappant de la mâchoire gauche, une langue d’un noir visqueux dégoulinante de bave. Toute cette bave qui le révulsait au plus haut point. Samart écarta le souvenir du cauchemar qui hantait ses nuits et partit à tâtons à la recherche d’un fond de bouteille d’Archa, vestige de sa cuite de la veille. Il but la bière d’un trait. Elle ne parvint pas à lui faire oublier le goût infect qu’il avait dans la bouche, mais il avait besoin d’avaler quelque chose.
[…]
Deux officiers, à l’uniforme café au lait, étaient assis face à la scène sur une natte de paille inconfortable ; ils regardaient fixement Samart, assis lui en tailleur sur un coussin face à eux et apparemment en transe. Autour de lui s’entassaient animaux en porcelaine, reptiles en bocaux au regard voilé, fioles de différentes couleurs, bouteilles et crânes de toutes les tailles possibles et imaginables, issus du règne humain comme animal. Le rideau était tiré et une petite lampe d’aquarium éclairait Samart par en dessous, projetant une ombre qui étirait les traits de son visage. Ses yeux injectés de sang, indice d’une énième nuit blanche, fixaient le vide. Ce spectacle avait réussi à en impressionner plus d’un, mais le public du jour n’était pas acquis à sa cause.
« On est censé rester combien de temps assis là comme des potiches ? demanda le colonel, la quarantaine, râblé, la mine aussi rude que les manières. 
— Il va bientôt se réveiller, colonel, l’assura son coéquipier.
Le capitaine Pairot était la copie conforme de son supérieur, les kilos en moins. Une peau flasque dégoulinait de son visage. Mais étant donné la forte propension des fonctionnaires de poli¬ce thaïlandais à donner dans la corruption, il y avait fort à parier qu’il trouverait à se remplumer bien assez tôt.
Son esprit va prendre conscience de notre présence ici sur terre et quittera l’au-delà pour venir nous rejoindre, dit-il. 
— Ah ouais ? Et ça va durer combien de temps cette histoire ?
— Peut-être une demi-heure.

© Colin Cotterill, 2011
© Éditions GOPE, 2012, pour la version française

Traduit de l'anglais par Violaine Lenthéric

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